Testicules Gesticulées

Testicules gesticulées, mémoire rédigé en 2020, dans le cadre d’un master 2 à l’EHESS de Paris dans la section Arts, Littératures, Langage, sous la direction d’Emanuele Coccia.

Mise en page : Baptiste Verrey.

 

Résumé : Testicules gesticulées est une recherche hybride, théorique, artistique et militante. Elle prend pour objet de réflexion un outil contraceptif DIY inventé dans par des activistes de l’Ardecom dans les années 80 dans un contexte d’auto-expérimentation féministe et anticapitaliste. Nommé joyeusement le « remontes-couilles toulousain » par les militants eux-même, cet outil permet à une personne dotée de testicules de se contracepter via la pratique d’un mouvement d’inhibition testiculaire quotidien. Si cet objet est encore perçu comme un rebut culturel et une pratique émasculante, testicules gesticulées entre dans l’intimité d’un héritage patriarcal autour des testicules, et analyse les bouleversements de genres induit lorsque les testicules sont « bougées » de leur positions et leurs privilèges genrés. En posant mon propre corps dans ce laboratoire, (pratiques drag, danse, actions militantes) en jouant entre observation et participation active, la recherche propose une approche poreuse à partir de laquelle façonner des imaginaires dissidents et féministes du testicule.

 

Extrait de l’introduction :

Bouger et être bougé. J’observe une instabilité ontologique du testicule : si il est symboliquement associé à la force de (re)production du corps, à la virilité, il est aussi étymologiquement et mécaniquement signe de passivité masculine : « testi-culus» ou «petits témoins » qui désigne aussi le « tiers », le membre qui ne fait qu’observer, qui ne peut se mouvoir lui-même, ou seulement par mouvement réflexe (réflexe crémastérien), incontrôlé. Masse vulnérable du corps, témoin silencieux de l’histoire en dur du phallus, le testicule ne s’érige jamais.
Au cours de mes recherches, j’ai pu observer à quel point le remonte-couilles toulousain pouvait faire blêmir l’oeil d’un hypothétique futur propriétaire : la peur d’être castré sur le champ, la projection de la douleur, la peur d’une perte de la virilité ou de libido, allié à un solide dégoût esthétique. Mais la critique la plus récurrente de la part des hommes reste celle-ci : le vêtement “n’est pas suffisamment pratique”. Pour la dernière partie de ce travail, je me suis inspiré.e d’une créature mythologique dégagée de l’obsession du pratique face à son anatomie (testiculaire) et libérée de ses injonctions normatives de genre, de son rôle sexué ou reproductif.

En effet, un des enjeux secrets du travail est de rentrer dans la problématique du remonte-couilles toulousain, tout en décidant de ne pas rentrer dans le jeu qui consisterait à « régler » ce que je nomme un faux-problème d’esthétisme ou de design. Il n’est donc pas question d’invoquer la domination masculine pour savoir comment mieux lui parler à travers un produit qu’elle accepterait, de jouer le jeu de l’adaptation, mais bien, in fine, de créer un chemin de désertion désirable en matière de normes d’anatomie sexuelle, et de faire vibrer « balls out » une intuition politique pour les récits mineurs de corps. (« Balls out » est une expression entendue chez des collaborateurs musiciens francophones et anglophones, indique l’idée de jouer à « plein régime » et littéralement, « à testicules déployées, ou en français de jouer « à burnes » ou « à pleines balles ».)

L’expérience de mon corps de danseur..euse au sein d’un corps académique contenait en soi des problématiques qui auraient pu faire l’objet d’un mémoire, mais j’ai préféré laisser surgir la danse à des endroits où elle ne sortait pas d’elle-même, et peut être, dans la nature même de mes pensées. Ce mémoire voit des danses pendant qu’il s’écrit. »

Pau Simon

Image : Baptiste Verrey, inspired by a print of Tanuki.