Une petite zone de l’anatomie humaine, souvent délaissée voire malaimée, a le pouvoir de soulever de grandes questions. Avec tendresse, La Grande Remontée regarde du côté des couilles en abordant les démarches de contraception masculine, pratiquée dans des cercles militants. Pau Simon, chorégraphe et performeureuse, place ainsi pour la première fois sur les plateaux de danse un sujet presque vierge de toute représentation.
Une texture mole, un tissu lâche de couleur sable et un peu fripé, enveloppe le corps de Pau Simon. Le.a chorégraphe est allé.e fouiller et se lover dans un endroit oublié et souvent délaissé de l’anatomie masculine : les couilles. La Grande Remontée, solo performatif accompagné de la musique live d’Èlg, est issu d’une recherche tentaculaire – universitaire, militante, artistique – autour de la contraception masculine et plus particulièrement d’une méthode qui consiste à désactiver la production de spermatozoïdes grâce à la chaleur du corps en remontant les glandes testiculaires dans le bassin. Loin de donner uniquement accès à des techniques et des pratiques, la pièce qui plonge allégrement dans l’humour, la gêne et les expériences intimes, tente de dénouer un impensé et d’apaiser les crispations de notre société autour de la virilité et les masculinités.
En 2019, le.a performeur.se commence à s’intéresser à ces questions et glisse un doigt dans l’engrenage. Iel rencontre des militants de l’ARDECOM, association pour la recherche et le développement de la contraception masculine, qui la mettent en contact avec Maxime Labrit, infirmier-activiste et concepteur de l’anneau contraceptif. Un petit outil en silicone permettant la remontée testiculaire, aujourd’hui remis en question par les institutions traditionnelles de santé, malgré son efficacité. « Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ces informations, concevoir une pièce de danse n’était absolument pas mon intention, ni même une possibilité à ce moment-là. » Pau fait face à un grand vide : dans l’imaginaire collectif, art et contraception militante ne semblent pas pouvoir aller ensemble. Mais au contact l’une de l’autre, les deux sphères finissent par se chevaucher : les militants font des « résidences » sur la contraception testiculaire, et Pau fabrique un imaginaire. Avec des « contraceptés » et la photographe Rebekka Deubner1, iels ont par exemple confectionné un « couillendrier » réunissant des clichés et des « haïkouilles », petits poèmes de Joseph Schiano di Lombo pour faire passer l’année. « Petit à petit, les activités militantes pouvaient prendre des allures artistiques et laissaient place à des délires collectifs », raconte-t-iel.
Sur scène, l’artiste s’avance, l’œil furtif. Sourcils relevés de plumeaux et d’un maquillage lui donnant l’air d’être aux aguets, petite moustache tout juste soulignée, iel incarne et nous présente le tanuki. Ces découvertes sur ce petit animal mythologique, « un genre de blaireau japonais avec d’énormes couilles transformables » – notamment popularisée par Pompoko, film d’animation des studios Ghibli – ont été un élément déclencheur pour ramener les bourses sur un plateau de danse. Dans un environnement textile imaginé par Darius Dolatyari-Dolatdoust comme une extension du costume aux couleurs de chair, les mouvements de Pau sont souvent lents, moelleux, comme imprégnés du bercement des organes. Entre le conte du tanuki, le chant moyenâgeux savamment exécuté ou le partage de récits quotidiens de contraceptés – qui ne manqueront pas de faire éclater quelques rires – les strates de textes et de gestes s’enchevêtrent. Un mix des tonalités manié et performé avec beaucoup de justesse et de soin. Car tout l’enjeu et l’audace de cette Grande Remontée – « un titre qui joue sur le fantasme d’une personne féministe castratrice et révoltée qu’on m’a souvent renvoyé pendant ma recherche » ajoute Pau – est d’apporter des formes, des images, des couleurs voire des mélodies et des rythmes, à cette intersection entre danse et contraception testiculaire. La pièce pratique donc, avec beaucoup de tendresse, un double pouvoir : celui de placer l’attention sur des sujets discutés dans les cercles militants et d’éclairer un espace encore aveugle de représentation.